Claude Chavent (1947-2023)

7 janvier – 6 avril 2023
Garde Fou, broche acier bruni et or

Abysses complices.    

Est-ce que l’absurde a un sens ? la réponse est que c’est peut-être une question de perspective. Claude Chavent était un formidable bijoutier qui maitrisait l’or, l’argent, l’acier, le fer, il maitrisait également très bien les double-sens avec lesquels il adorait jouer comme on lance une bouteille à la mer. De sa première formation de scientifique il avait gardé le sérieux et la précision, de sa maitrise professionnelle la perfection technique et l’inventivité des solutions qu’il s’ingéniait à trouver.

Brièvement formé en bijouterie, c’est en autodidacte qu’il a mis au point ses propres techniques de réalisation. D’un savant mélange de procédés semi-industriels il finissait ensuite ses pièces avec tout l’art et le savoir-faire d’un extraordinaire orfèvre. Grâce à son approche originale il a pu développer un travail très personnel qu’il laissa évoluer avec bonheur vers une sculpture de belle dimension.

Merci Claude pour la joie de vivre que tu nous as transmise par tes sourires et par ton art.

Os, broche or

Lorsqu’on voit un bijou, en or de surcroit, on y croit. La matière est là, présente, bien présente, avec sa valeur, avec son sens, avec cette affirmation, insolente. Les deux pièces présentées ici sont en réalité des bas-reliefs, mais peut-on parler de réalité ? la réponse est oui et non. Avec Claude Chavent, la réponse est toujours oui ET non. Oui, la pièce est là, dans nos doigts, mais l’illusion également. La présence d’un côté et l’image que l’on se crée mentalement de l’autre, voilà la dualité de notre perception. L’or et le fer. Le précieux et tout de suite son antinomique. L’artiste, délicatement iconoclaste, dessine avec légèreté, d’un trait affirmé.

Balle, plat-relief, broche fer et or

A un moment, Claude a eu besoin d’aller plus loin, il a décidé de se débarrasser du volume si peu profond qu’il soit. Supprimer ce bas-relief qui finalement ne servait qu’à se rapprocher d’un discours contradictoire. Tant qu’à se contredire autant être intègre et proposer un relief nul. Oui, peut-être, mais l’épaisseur du métal est toujours là lui fis-je remarquer. Bien sûr bien sûr me dit-il, mais imagine une de ces broches sur un bout de papier, un dessin, une image, elle redevient une simple représentation. A contrario, ces broches existent dans ta main, tu tiens une balle, mais en réalité tu ne tiens que la représentation de cette balle. Et pourtant tu la tiens dans ta main. Bon tu la tiens ou tu ne la tiens pas ?

Tiens c’est l’heure de l’apéro, allons nous enivrer… de réalité !

Cage, broche, platine et or
Lights os et dragon or, broches or

Objets

« Miroir aux Perles » objet

Cette pièce aurait pu s’appeler ‘Déni de réalité’ mais cela aurait été trop terre à terre. Ici l’illusion est magistrale, car il faut s’imaginer que dans ce bijou, aucune pièce n’est à angle droit. Tout n’est qu’illusion, miroir aux alouettes, même la couleur dans le miroir nous rend plus blanc que blanc. Et l’on ne peut même pas partager le point de vue de l’acteur, celui de la perle noire. Notre angle de vue, la perspective que nous avons, nous éjecte littéralement du tableau. Il s’agit pourtant d’une magnifique invite à la contemplation.

Sculptures

« Crux Pénitents »
Globe

Le changement d’échelle soumet l’artiste (le bijoutier !) à un nécessaire repositionnement, à une redéfinition de son propos. Comment vont agir ces pièces puisque ce n’est plus nous qui les regardons mais elles qui nous interrogent. Une perspective qui tourne sur elle-même grâce à un artefact motorisé vient perturber notre esprit. De savoir que la sculpture tourne simplement sur elle-même alors que votre cerveau vous indique un va-et-vient  – aller-retour avant-arrière –  provoque en vous inévitablement un abyme de perplexité. L’humour de Claude devient une chose sérieuse.

Fontaine de Clous
Des Clous

Inversion de réalité

Un jet, une pluie de clous. De l’eau dessinée avec du fer. Quelle douce ironie que de s’imaginer que la rouille, pour une fois, domine l’eau. Et c’est à nouveau en nous offrant un regard neuf, un changement de point de vue, que l’artiste nous convie à une fondamentale remise en question de nos certitudes

« Salon de jardin »

Le banal magnifié.

Détrompez-vous, ceci n’est pas une chaise, c’est seulement l’histoire d’une chaise qui vous rappelle que vous y étiez assis quelques instants auparavant. Malheureusement celle-ci n’existe plus que dans votre imaginaire, l’espace-temps s’étant soudain aplatit, ceci à taille réelle. Et même si vous êtes toujours là (elle aussi par ailleurs), quelque chose a changé, le passé vous a dépassé. Et maintenant c’est à vous d’accepter la beauté de l’instant, la perspective qui vous relie à ce joli moment vécu et à vivre, le tout rendu possible grâce au geste de l’artiste qui relie et transforme un instant en éternité.

« Perspective »
Tor !

Tor !

Oui, il est bien question de passage, d’ouverture, dans cette œuvre monumentale qui nous fait lever les yeux vers un ailleurs. « Tor » un but ou un double sens franco-germanique, Tor devenant tort en français ? C’est une nouvelle dimension qu’il nous impose grâce (ou à cause) de cette porte, œuvre ultime.

Claude a joué avec nos perceptions, mettant des trous là où il n’y avait rien, mettant des pleins là où il n’y avait rien non plus. Claude était le complice des abysses, les abysses l’ont emporté, Claude est toujours là.

Claude Chavent 1947 – 2023

Article en anglais sur le site Art Jewelery Forum